Le Parisien 21 août 2004 - Interview d'Antoine MAESTRATI

" Les femmes ont pris des risques énormes... "

Propos recueillis par Pierre Puchot - 21 août 2004

 

Né le 15 mai 1919 à Paris, Antoine Maestrati – qui habite aujourd'hui à Chilly-Mazarin (Essonne) - était en 1944 membre de l'état-major FFI d'Henri Rol-Tanguy en Ile-de-France.

Comment avez-vous vécu la Résistance ?
Antoine Maestrati : Ce qui s'est passé au mois d'août 44, c'est l'aboutissement des quatre années pendant lesquelles la Résistance s'est construite petit à petit. Il a fallu remonter le moral d'une population atterrée, en s'appuyant notamment sur les anciens comités de lutte contre le nazisme et le fascisme italien.

Notre premier objectif : récupérer les armes qui traînaient pour les enterrer. A partir de l'entrée en guerre des Anglais et surtout des Américains, l'espoir a changé de camp. Tout le matériel caché est ressorti. 300 000 à 400 000 personnes sont devenues des combattants. Il y a des régions entières de France qui se sont libérées toutes seules, sans un homme ou un char alliés. D'ailleurs, Eisenhower l'a dit : « Sans la Résistance française, nous étions rejetés à la mer. »

Comment a été organisée l'offensive militaire sur Paris ?
Il faut rendre hommage au commandement de l'insurrection car, dans un contexte différent mais des conditions semblables, l'armée allemande avait écrasé Varsovie. Mais il y a eu deux tactiques différentes. En Pologne, on a livré aux Allemands une guerre classique ; ici, une guerre de partisans. Il était en effet impossible d'espérer vaincre les Allemands « à la régulière » à Paris avec quelques milliers d'hommes mal organisés, sans armes lourdes et très peu de munitions. Ça a été le génie de Rol-Tanguy de dire : « Coupons les jambes de l'adversaire. Grignotons-le. »

« On les a tronçonnés. Ils devenaient fous »

 

Quel est le bilan de ces combats ?

5 000 personnes sont mortes au combat dans la région parisienne, et plus de 2 200 dans les rues de Paris. La libération a coûté cher en vies humaines. Les agents de liaison - les femmes en particulier - ont joué un rôle déterminant, en assurant au prix de risques énormes les contacts entre les groupes et le transport des armes, parfois dans des berceaux.

Vous, que faisiez-vous ?
Pendant cette semaine clé, j'avais une double casquette : je dirigeais une compagnie de cent hommes et j'étais membre de l'état-major FFI d'Ile-de-France. Les uns faisaient partie d'un état-major très réduit et caché, qui commandait à partir des sous-sols. Les autres, comme moi, étaient répartis dans toute l'Ile-de-France.
Notre rôle était de conforter la progression des Alliés, d'avancer et de venir en soutien des combattants. Le 17 août, à la tête de ma compagnie, je quitte Rosny-sous-Bois pour Montreuil. Une fois cette ville libérée, nous faisons évacuer la mairie et convoquons une réunion sur la place. 3 000 personnes environ se rassemblent : nous n'en croyons pas nos yeux. Les Allemands surgissent le lendemain avec des chars, des Tigre. Mais ils repartent vite : ils tiennent le sol, mais pas les étages. Une situation impossible. Le 19, nous devons nous occuper d'une colonne allemande d'un millier d'hommes, qui se dirige vers l'est en partant de Vincennes. On l'attaque à partir de Nogent-sur-Marne, puis Le Perreux. Grâce à la jonction de plusieurs compagnies et à notre tactique de guérilla, on les a tronçonnés : ils devenaient fous.

Combien de temps cela a-t-il duré ?
Jusqu'au 26 août, à Neuilly-sur-Marne. Durant cette semaine, j'ai décroché plusieurs fois avec une poignée d'hommes pour remplir quelques missions sur Paris : prendre un bâtiment ou une rue, notamment du côté de la place de la République, où ça n'allait pas tout seul. Le 25 août, Paris s'est finalement libéré avec l'aide de l'armée Française, que j'ai intégrée par la suite.