Sylvaine KOCHER

Témoignage

Septembre 2016

Ma famille, touchée par le chômage et l’alcoolisme, habitait à Champigny sur Marne : je n'y étais pas heureuse mais j'aimais beaucoup maman. Nous étions 10 enfants. 4 (dont moi) étaient aveugles.

Je suis arrivée à Chilly-Mazarin en 1929 alors âgée de 3 ans et 4 mois : placée dans une école de Handicapés Aveugles et Mentaux (on disait « arriérés » à l'époque) 30 avenue Mazarin, tenue par les Sœurs Aveugles de Saint Paul, et appartenant à l’Association Valentin Haüy fondée par Maurice de la Sizeranne.

Il m'est arrivé de prendre le train l'Arpajonais avant sa disparition en 1936 pour aller à Arpajon.

Ma sœur Jocelyne m'a rejoint en 1945 à ma demande quand j'ai su qu'elle était aveugle.

Il est faux de dire, comme certains l'affirmaient, que cette école n'était qu'une garderie : tout était fait pour qu'on y travaille. J’y ai appris la musique tout comme Jocelyne, mais j’étais moins douée. Nous avons appris le braille. A 8 ans je lisais couramment. J'ai toujours été passionnée par l'histoire et ce qui se passe dans le monde. Mon premier souvenir historique : la guerre d'Espagne.

J'étais la « petite fille des sœurs » mais une méchante employée faisait des bêtises graves et disait que c'était l’œuvre d'une jeune. C'est ainsi que j'ai été punie et envoyée passer 2 mois à l'hospice Henri Roussel de l'hôpital Sainte Anne à Paris.

A 9 ans j'avais décidé que je serai religieuse chez les Filles de la Charité pour pouvoir m'occuper des pauvres.

A 10 ans, j'ai appris, en entendant une conversation, que j'étais « arriérée mentale ». Alors je me suis mise à écrire des vers moqueurs et des chansons engagées.

Vers 12, 13 ans j'ai été tentée d'être à gauche : j'ai toujours été sensible aux pauvres, aux faibles et aux malades. J'aurai pu être communiste s’il n'y avait pas eu le problème de l'athéisme. J'aime l'Amérique Latine parce qu'elle est peuplée de pauvres.

A 15 ans j'avais décidé d'être missionnaire. Mais on m'en a empêchée : « tu ne pourras pas, tu seras une mauvaise religieuse » me disait-on.

Les jeunes filles restaient normalement dans l'école jusqu'à 21 ans mais j'y suis restée jusqu'en 1972 : j'avais 46 ans. Cette année-là les sœurs sont parties et le Maire de Chilly Mazarin nous a attribué un logement social de la résidence de l'Arpajonais.

La pire de mes souffrances : n'avoir jamais exercé un métier, n'avoir jamais gagné ma vie, d'être tributaire de l’établissement. Jusqu'à la révolte. Mais les religieuses m'ont donné tellement de foi que j'ai pardonné. J'ai gardé une amie avec qui j'ai vécu à valentin Haüy et qui est maintenant à Lyon : elle fait des copies en braille.
Mais j'ai beaucoup tricoté - des chaussettes notamment - pour les prisonniers et pour le Secours National pendant la guerre.
J'ai tricoté aussi pour l'association de Morangis présidée par Mme Lavergne.
J'ai arrêté quand il n'a plus été possible de tricoter pour une cause. Je n’étais plus intéressée

Toute ma vie j'ai senti le poids de ce préjugé : « une aveugle ne sert pas à grand-chose »
Cependant les deux maires successifs, Ehrhart et Funès ont manifesté la volonté de se rapprocher de nous.

J'ai participé à la Chorale du Hurepoix. J'y ai chanté pour la dernière fois à Viry-Châtillon le jour de la mort de St Jean-Paul II en 2005.

Madame Lasseron, du service social de la mairie, m'a fait entrer à l'Arpage le 1er juin 2006. Cette dame m'a beaucoup aidée, m'a écoutée et comprise. Je l’ai aimée.
Mais dans cette maison où j'espérais trouver un esprit de famille, on ne peut pas manifester l'amour qu'on éprouve pour les personnes.
Je pourrai rendre service mais je ne participe à rien. Des fêtes sont organisées ici avec la mairie mais quand on est vieux on ne peut plus participer à la préparation : ça me révolte !

Je suis trop occupée à penser aux malheurs dans le monde pour me lamenter sur moi.
A la radio j'ai entendu parler des personnes déplacées et saisi l'opportunité proposée de communiquer avec un filleul : je suis tombée sur un Hongrois qui m'a délivrée du préjugé que j'avais par rapport à cette nationalité que je ne connaissais que par le livre Mathias Sandorf de Jule Vernes, alors que j’avais prié pendant des années pour le cardinal Mindszenty, prima de Hongrie qui a été persécuté par les communistes.

J'ai aimé Chilly-Mazarin et son église quand c'était encore la campagne, quand il y avait encore une chapelle à l'IMPRO Valentin Haüy, quand le prêtre était plus à notre écoute.

Le 9 juillet 2003 je suis devenue Oblate séculière chez les Bénédictines à l’Abbaye Notre Dame de Fidélité de Jouques.
Je voudrais voir le centenaire de Notre Dame de Fatima l'année prochaine.

Le bon Dieu m'a enfermée en me privant de la vue, je suis condamnée à perpétuité alors que je n'ai rien fait de mal. Mais Jésus a subi la croix alors qu'il n'avait rien fait non plus. Le premier visage que je verrai sera celui du Seigneur : il me regardera comme je suis, sans jugement.

 

 

Sylvaine Kocher est décédée à Marseille le 22 juillet 2017